Collectif de Manosque pour une rupture antilibérale et des candidatures communes

Contribution personnelle  J-M Berniolles - Octobre 2006

Pour bien situer mon intervention spécifique sur le problème de l’énergie, je commencerai par me présenter :

Mon nom est Jean-Marie Berniolles, Ingénieur retraité du CEA exerçant encore une activité d’enseignant dans une école d’ingénieurs à Marseille.

Au cours de ma carrière professionnelle, j’ai tout d’abord travaillé sur la filière « rapides » (Rapsodie, Phénix et Super Phénix) dans les domaines de la neutronique, de la thermique et de la mécanique. J’ai eu de larges responsabilités techniques lors de la conception initiale de Super Phénix au CEA. Puis j’ai exécuté des calculs,- thermo hydraulique et mécanique-, dans le cadre du projet. Lors d’un passage à l’EDF j’ai eu ensuite la responsabilité des calculs contractuels sur les réacteurs nucléaires REP du palier 900 (Fessenheim, Tricastin, Cruas, Bugey, ..) . C'est-à-dire que j’ai été impliqué dans tous les problèmes techniques qui se sont posés à l’époque, - fissures sous revêtement, problème spécifique de séisme pour Cruas, récupération des matériels prévu pour l’IRAN (du SHAH évidemment) … et tous les problèmes issus de la fabrication ou des contrôles sur les réacteurs-.

A mon retour au CEA, j’ai travaillé dans le domaine des accidents graves (fusion du cœur du réacteur partielle ou totale) au niveau de la modélisation (thermo hydraulique, physique des aérosols, relâchement des produits de fission ..) et des calculs de séquences accidentelles.

J’ai aussi écrit régulièrement des articles et papiers sur les problèmes de l’énergie : la question du pétrole, ITER, l’électronuléaire, les énergies alternatives et donné quelques conférences sur ces sujets.

Remarques spécifiques au nucléaire et à la question de l’énergie

Dans le contexte actuel on comprend bien que la politique énergétique est un élément clé d’un programme de gouvernement. D’une certaine manière on peut donc évaluer la capacité à gouverner, c'est-à-dire prendre la mesure des réalités et des possibilités pour définir les orientations et les investissements dans le domaine de l’énergie afin de faire face aux besoins et à leur évolution, à partir d’un programme.

Il faut bien voir que réaliser le volet social de notre projet antilibéral – augmentation du SMIC et minima sociaux ….-, que j’approuve personnellement, sans prévoir son financement provoquerait, à moyen terme, le laminage des couches moyennes. (Un nouvel échec de la gauche au pouvoir conduirait irrémédiablement à ouvrir la voie à l’extrême droite). Ne serait ce qu’en raison du poids de la facture énergétique dans le déficit de notre balance commerciale, la définition d’une « bonne » politique en matière d’énergie est donc un élément crucial à ce niveau.

Force est de constater que la rédaction du document n°6 au niveau du chapitre énergie, d’ailleurs en régression par rapport à la charte pour une alternative au libéralisme, ne satisfait pas ce critère de capacité à gouverner. On raisonne comme si les problèmes actuels, - crise pétrolière, pollution chimique, effet de serre ..-,  pouvaient attendre (notion de moratoire) et l’on cherche à détruire ce qui représente la base de notre production électrique, le nucléaire, sans solution de rechange crédible, ou alors des choses inavouables comme le recours massif au gaz (solution PIERRET en 98/99) et au charbon.

Ceci serait parfaitement dans la continuité des politiques énergétiques mises en œuvre depuis plus de 15 ans. Celles-ci se sont caractérisées :

1)      par la destruction de l’avenir avec l’arrêt de Super Phénix, puisque ce réacteur rapide à sodium représentait ce que l’on peut qualifier de prototype des réacteurs nucléaires de la génération IV appelés à fonctionner dans les années 2020,

2)      par l’incapacité à organiser le remplacement des réacteurs REP qui pour la quasi-totalité arrivent de 2007 (Fessenheim) à 2012 à la fin de leur vie théorique de dimensionnement. Donc l’augmentation de leur durée de fonctionnement de 10 ou 20 ans est devenue une obligation,

3)      par l’incapacité à anticiper le problème du pétrole (passage du pic de HUBBERT ou « peak oil ») et, dans une mesure pour l’instant moindre, celui du gaz naturel,

4)      incapacité également, malgré les discours officiels, à lancer véritablement les énergies renouvelables puisque le programme éolien est très en retard, notamment vis-à-vis des exigences de Bruxelles, que l’hydraulique, premier fournisseur d’énergie renouvelable, est déjà saturé et que le pétrole « vert » ne pèsera pas, ni en quantité -10% à l’horizon 2015- ni en terme économique au niveau des prix à la pompe.

Heureusement dans cette période, grâce au secteur public, - CNRS, CEA, EDF..-, des recherches ont été menées sur le solaire, la biomasse, les piles à combustibles, les chaudières à « lits fluidisés » (charbon, scories diverses), le traitement et le stockage des déchets nucléaires… qui justement permettent d’avoir, aujourd’hui, les éléments, -possibilités et perspectives-, pour définir une « bonne » politique énergétique.

La première chose qu’il faudrait affirmer dans notre programme antilibéral, c’est qu’en matière de politique énergétique, comme dans d’autres secteurs, il faut revenir à la planification et au rôle majeur de l’Etat.

Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de l’énergie où il y a des délais de mise au point et de mise en fonctionnement qui sont de plusieurs dizaines d’années, - pile à combustible, réacteurs nucléaires de quatrième génération, ne parlons même pas de la fusion contrôlée thermonucléaire où l’on va, au minimum, dépasser la centaine d’années -.

Contradictions de la version n°6 du document « ce que nous voulons », chapitre énergies

 a)      Il y a une incohérence complète entre l'idée de moratoire, c'est à dire dans la pratique la suspension de la construction à venir de l'EPR, qui est, il faut le rappeler, une évolution plus sûre, notamment au niveau des conséquences d'un accident grave (fusion partielle ou totale du coeur du réacteur) des réacteurs nucléaires REP actuels, et l'arrêt de Fessenheim qui est la tête de série des REP de la génération en service. C'est à dire qu'avec des nuances qui peuvent être importantes mais jamais fondamentales, tous les REP de la première génération, TRICASTIN, BUGEY, CRUAS, GOLFECH.... sont de la technique FESSENHEIM. On peut dire la même chose de l'évolution des REP jusqu'à CIVAUX. Donc les problèmes de FESSENHEIM sont génériques pour toute cette suite. D'où l'intérêt qu'il y a du point de vue de la sûreté de remplacer cette génération II de réacteurs nucléaires par la génération III - EPR - le plus rapidement possible.

En fait, sous l'action des gouvernements successifs depuis 91, on était déjà, ceci dès avant l'arrêt scandaleux et absurde de SUPER PHENIX, dans une phase de quasi moratoire pour l'électronucléaire. Mais comme le nucléaire est incontournable, -aujourd'hui mais encore plus demain-, on va devoir prolonger la vie de centrales nucléaires vieillissantes pour n'avoir pas engager l'EPR assez tôt!

  b) Voilà le point fondamental. Il ne s'agit pas de faire de l'électronucléaire par plaisir mais parce que c'est obligatoire. C'est une donnée scientifique et technique. En faire un objet de débats avec la question sous jacente de « sortir du nucléaire » est absurde et revient à se moquer des gens en leur laissant croire que le renouvelable peut remplacer le nucléaire. Par contre il est évident qu’il faut débattre avec les citoyens afin de développer le nucléaire dans un cadre démocratique. Notamment en tenant compte des exigences sur la sûreté et la sécurité des installations et un traitement correct des déchets. Mais on doit affirmer la même chose pour la Chimie qui tue d'ailleurs bien plus que le nucléaire.

b)      Un arrêt du nucléaire est d'ailleurs aussi incohérent avec d'autres engagements du programme des collectifs antilibéraux du 29 mai. Avec justesse, du point de vue de la préservation de l'environnement - pollution et effet de serre - il est programmé, pour les transports, d'engager fortement le ferroutage et de développer les transports en commun. C'est à dire d'accroître nettement la part de l'électricité dans les transports. Or ce surcroît d'énergie électrique ne peut être assuré, en majorité, que par le nucléaire (on peut en effet évaluer à près de 10% la demande d’énergie électrique supplémentaire occasionnée par le ferroutage généralisé, ainsi que des transports en commun électrisés, voir des voitures électriques à batterie dans les villes)

c)      Lorsque l’on  prétend remplacer le nucléaire par l'Eolien et le renouvelable en général, on se garde bien de donner des chiffres précis. Par exemple de révéler qu'en France on a du mal, en dépit de mesures légales sur le rachat obligatoire du courrant par EDF à des conditions plus qu'avantageuses, à installer 10000 Mégawatts théoriques d'Eolien. (Théorique parce que notamment la puissance délivrée par une éolienne est proportionnelle à la puissance trois de la vitesse du vent. Donc une éolienne ne marche pas toujours et ne fonctionne quasiment jamais à sa puissance de pointe). On fait aussi semblant d'ignorer que cela fait plus de 25 ans qu'au CNRS, au CEA, à l'EDF.. on étudie l'énergie solaire, la biomasse.... et qu’un programme d’économie d’énergie avait déjà été lancé en 1981 démontrant qu’il ne fallait pas attendre des miracles de cette bonne résolution. Le pétrole dit « vert » est aussi une source d’émission de CO2 et un facteur de consommation d’énergie. D’autre part il mobilise trop de terres agricoles pour constituer une solution alternative majeure dans notre pays. Et, comme on l’a déjà souligné, l’hydraulique est quasiment à saturation en France.

Ici il faut souligner qu'il est vrai que l'on ne peut développer le nucléaire qu'au sein d'une société démocratique avancée. Comme notre ambition est d’en édifier une en France.

Il y a une corrélation entre la manière dont le nucléaire est traité et l'état de la société elle-même. Ainsi Tchernobyl est-il lié à l'implosion du système soviétique. L'abandon, le sabotage, de Super Phénix pourrait marquer le déclin irrémédiable de la France si nous n’agissons pas.

Orientations pour les propositions des collectifs

Les propositions suivantes viennent en soutient des mesures suivantes :

            - Lutte contre la pollution et l’effet de serre. Soient le développement intensif du ferroutage et de l’électricité pour les transports en commun et l’automobile.

            - Ré industrialisation de la France.

            - Développement de la Recherche.

Propositions

-         Lancement rapide de l’EPR et relève accélérée des REP actuels par cette technique de troisième génération.

-         Lancement d’un programme de recherche nationale avec coopération européenne sur la quatrième génération de réacteurs nucléaires, les réacteurs « rapides ».

-         Accélération de la mise au point des piles à combustible.

-         Bien entendu, il est souhaitable de tirer le meilleur parti des économies d’énergie – liées à l’habitat notamment, isolation mais aussi rapprochement du lieu de travail – et des énergies renouvelables. En étant conscient que ceci ne peut être qu’un appoint.

 

Manosque le mercredi 11 octobre 2006